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Désireux de débarrasser une fois pour toutes la Terre de la mainmise des sanguinaires Dracos, les six Nagas qui avaient temporairement élu domicile à Saint-Hilaire s’étaient mis en route pour la Colombie-Britannique, pour suivre la trace de la reine des serpents. Ils avaient troqué leurs chitons pour des vêtements civils, plus discrets dans les aéroports. Damalis avait profité du vol entre Montréal et Vancouver pour réfléchir à sa stratégie. Ses frères l’avaient laissé tranquille et s’étaient plutôt occupés en jouant aux jeux vidéo mis à leur disposition par la compagnie aérienne.

Les six hommes, qui s’étaient métamorphosés en Spartiates pour faire plaisir à Andromède, étaient en fait d’efficaces mercenaires qui avaient souvent offert leurs services à divers groupes de résistance à travers le monde. Ces déplacements leur avaient permis d’échapper à la persécution des Dracos. Toutefois, Damalis savait qu’ils ne pourraient pas fuir éternellement, car les rois serpents étaient partout. Il leur était difficile de repérer un seul Naga, mais plutôt aisé d’en retrouver six qui ne se quittaient jamais.

La reine Perfidia était très dangereuse, Damalis ne l’ignorait pas. Mais Thierry Morin, le plus puissant traqueur de tous les temps, n’était plus en mesure de l’affronter à cause du poison qui le rongeait de l’intérieur. Il revenait donc à ses plus fervents admirateurs de lui rendre ce dernier service.

Damalis regarda par le hublot et vit la crête enneigée des Rocheuses. Dans les vallons creusés par les glaciers, des millions d’années auparavant, se nichaient de nombreux villages.

« Pourrions-nous y échapper à nos bourreaux ? » se demanda le guerrier. Une fois sa mission accomplie, il lui faudrait bien trouver une terre d’asile pour ses frères. Ses pensées revinrent alors sur sa cible. Il savait que Perfidia voyageait en compagnie d’un roi Dracos et qu’elle s’était dirigée vers la Colombie-Britannique. C’était une province immense à passer au peigne fin. Damalis ne disposait pas de l’aide des Pléiadiens comme les varans. Il lui faudrait donc puiser dans ses propres ressources pour traquer la reine. Heureusement, Aeneas était un as de l’informatique. Il savait comment repérer les déplacements d’une personne grâce à l’utilisation de ses cartes de crédit. L’homme d’affaires qui escortait Perfidia s’en servait assez souvent pour qu’il puisse le suivre pas à pas.

Chacun des frères Nagas possédait un talent unique. Damalis était un leader naturel. Sa voix et sa prestance imposaient tout de suite le respect, et on lui obéissait sans poser de questions. Eraste avait une excellente compréhension de la comptabilité. C’était lui qui s’occupait des finances de la famille. Kyros avait de la facilité pour apprendre les langues. Il servait d’interprète au groupe lorsque ce dernier travaillait en pays étranger. Eryx était un spécialiste des explosifs. Il pouvait aussi démonter et remonter n’importe quelle arme à feu les yeux fermés. Quant à Thaddeus, c’était un expert de la nature et un excellent pisteur. Aucun détail ne lui échappait, aussi minuscule fut-il. De plus, les six frères pratiquaient différentes formes d’arts martiaux depuis leur tout jeune âge, ce qui en faisait des adversaires redoutables. « Cela sera-t-il suffisant pour accomplir cette mission ? » se demanda Damalis.

Une fois le groupe arrivé à Vancouver, Aeneas utilisa son ordinateur portatif et découvrit que Perry Falsita, le roi serpent, avait loué une voiture pour un mois. Mieux encore, Aeneas parvint à se brancher au système de localisation du véhicule. Les fugitifs se trouvaient dans la partie nord-ouest de la province. Le Spartiate se tourna vers ses frères.

— Il n’y a pas de grandes villes dans cette région, leur apprit-il. On y trouve des réserves indiennes et des stations de ski.

— Mais il y a aussi d’importantes montagnes, ajouta Thaddeus.

— Un excellent incubateur pour des œufs de dragon, comprit Damalis.

— Il faut les rattraper avant qu’elle ne les ponde, les pressa Eryx.

— Ils ont beaucoup trop d’avance sur nous, déplora Eraste.

— Nous devons trouver un hélicoptère qui nous emmènera là-bas, décida Damalis.

Il n’avait pas terminé sa phrase qu’Aeneas cherchait déjà une entreprise capable de fournir ce transport à proximité de l’aéroport.

— Il y a un héliport à environ quarante-cinq minutes d’ici, annonça-t-il.

Les Spartiates se mirent en route, ne transportant-pour tout bagage, qu’un sac à dos chacun. Ils s’entassèrent dans une camionnette-taxi et gardèrent le silence pendant tout le trajet. Il pleuvait à Vancouver. Les gouttes d’eau glissaient sur les fenêtres de la voiture, diminuant la visibilité des passagers. Mais Thaddeus savait exactement où ils se trouvaient. Il avait déplié la carte géographique de la ville sur ses genoux et suivait la course du taxi en lisant régulièrement le nom des rues.

— Nous y sommes presque, chuchota-t-il à Damalis.

Eraste régla la course et suivit ses frères jusqu’à l’établissement. Ce fut l’aîné des six qui négocia le prix du transport jusqu’à la rivière Iskut.

— Où est votre équipement de camping ? demanda le propriétaire de l’héliport, suspicieux.

— Nous allons rejoindre des amis qui y sont déjà installés, répondit Damalis avec un sourire désarmant. Apparemment, c’est un endroit magnifique.

— Mais pratiquement inhabité. Si vous n’avez pas l’habitude des contrées sauvages, je peux vous suggérer de petits villages de pêche sur la côte où vous serez chaleureusement accueillis.

— Nous ne sommes pas du genre à faire faux bond à nos amis.

— Dans ce cas, j’aurai un pilote pour vous dans environ une heure.

— C’est parfait.

Damalis prit place au milieu de ses frères sur les chaises de bois de la petite pièce. À travers la baie vitrée, il pouvait voir les hélicoptères solidement attachés au sol. Ils semblaient plutôt neufs, ce qui le rassura. L’un d’entre eux ressemblait même aux appareils qu’ils avaient déjà utilisés lors de périlleuses missions en Amérique du Sud.

— D’après mes calculs, lui dit Aeneas, nous devrions atteindre la rivière un peu après le coucher du soleil.

Et il avait parfaitement raison. Lorsque le gros hélicoptère toucha finalement le sol, dans une clairière, il commençait à faire nuit. Damalis serra la main du pilote et rejoignit les autres, quelques mètres plus loin. Les Spartiates demeurèrent immobiles jusqu’à ce que leur transport se soit suffisamment éloigné, puis s’activèrent tous en même temps sans qu’aucun signal ne leur soit donné par l’aîné. Ils établirent un campement sur la berge, allumèrent un feu et formèrent un cercle autour des flammes pendant qu’Aeneas consultait son ordinateur.

— Où sont-ils rendus ? le questionna Kyros.

— La voiture est arrêtée dans un village non loin d’ici.

— Regardez ! lança Thaddeus en pointant le ciel.

Un énorme oiseau passa non loin, battant de ses longues ailes. Il se dirigeait vers le Mont Hoodoo.

— C’est elle, soupira Damalis.

— Le système de localisation est demeuré dans la voiture, déplora Aeneas. Comment ferons-nous pour la retrouver, maintenant ?

— Nous nous en remettrons à Thaddeus, évidemment.

— Cela prendra des jours, voire des semaines ! protesta Kyros.

— Alors, soit, trancha Damalis. Théo ne nous a pas imposé de délai. Il s’attend seulement à ce que nous réussissions.

Les Nagas déroulèrent leurs couvertures thermiques et dormirent quelques heures, serrés les uns contre les autres. Ils se levèrent avant le soleil et avalèrent une partie de leurs rations. Dès qu’elles seraient épuisées, ils chasseraient et pécheraient pour survivre. Thaddeus en tête, les six hommes s’enfoncèrent dans la forêt, en direction de la montagne.

Ils marchèrent toute la journée, ne s’arrêtant que pour boire et manger. Ce territoire inhabité, d’une grande beauté abritait une grande variété d’animaux. Puisqu’ils étaient très silencieux, les Spartiates purent observer à loisir de grands orignaux qui paissaient dans des étangs cristallins, ainsi que des loups qui remontaient en meute vers le nord, à la poursuite d’un troupeau de daims.

— Pourquoi n’avons-nous pas disparu en même temps que tous les autres ? demanda soudain Eryx.

— C’est maintenant qu’il s’en soucie ? se moqua Kyros.

— On dit que Dieu est venu chercher les plus méritants, l’informa Damalis.

— Apparemment, nous n’en faisons pas partie, ajouta Eraste.

— Mais nous ne sommes pas de mauvaises personnes ! s’entêta Eryx.

— Nous avons eu à prendre des vies lors de certaines missions, lui rappela Thaddeus.

— Pour défendre la nôtre !

— Je ne crois pas que Dieu fasse la différence, raisonna Eraste.

Les Nagas ne s’arrêtèrent que pour la nuit, après avoir trouvé une clairière au milieu de la forêt. Comme ils étaient habitués aux conditions extrêmes, ils apprécièrent la douceur de la sylve tant qu’ils le pouvaient. Plus ils remonteraient vers la montagne, plus ils seraient exposés aux caprices de la nature.

— Le temple d’Andromède me manque, soupira Eryx en s’enroulant dans sa couverture.

— Il était temps que nous partions, le douillet, le taquina Aeneas.

Damalis s’accroupit près de Thaddeus, qui regardait vers le ciel.

— Que vois-tu ? demanda l’aîné.

— Je m’oriente avec les étoiles, pendant que je le peux. Des nuages approchent de l’ouest. Je crois qu’il pleuvra demain.

— Y a-t-il d’autres montagnes où Perfidia pourrait se cacher ?

— Il y en a plusieurs, mais celle-ci est la plus probable.

— C’est ton instinct qui te guide ?

— En partie, avoua Thaddeus. J’ai étudié les cartes de la région, et c’est l’endroit le plus rapproché de la principale source de nourriture des princes.

— La réserve ?

— Jusqu’à la prochaine saison de ski, où ils pourront se régaler de sportifs venus de tous les coins du monde.

— Il faut empêcher que cela se produise.

— Si elle pond ses œufs au cours des prochains jours, ils écloront ce printemps. Cela nous donne encore beaucoup de temps.

Thaddeus planta son regard dans celui de Damalis.

— Et toi, tu sauras comment nous débarrasser de ces œufs ?

— Je m’en remettrai à Eryx lorsque nous aurons pénétré dans son antre.

Damalis tapota affectueusement le dos de son frère et alla s’allonger sur la mousse, près du feu. Dans cette région éloignée, il ne craignait plus de rencontrer des garde-forestiers. De toute façon, les six hommes respectaient profondément la nature et ils n’allumaient des feux que dans des endroits sécuritaires pour se réchauffer ou pour faire cuire leur nourriture. Maîtres dans l’art du camouflage, ils passaient le plus souvent inaperçus.

— Dormez bien, Spartiates ! lança Damalis.

— Justice et liberté ! répondirent-ils en chœur.

L’aîné se perdit dans ses pensées. Il songea à sa dernière conversation avec Thierry Morin. Avait-il réussi à accomplir sa propre mission ? Avait-il laissé une fois de plus l’amour l’empêcher de traquer convenablement ? Ou avait-il tout simplement succombé à ses blessures ? Damalis n’aimait pas les questions sans réponses. Sans le dire à ses frères, il avait donc apporté un téléphone cellulaire. « Si je capte un signal, j’appellerai l’ami de Théo lorsque nous serons sur la montagne », décida-t-il.

 

Codex Angelicus
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